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Interview de Philippe Aractingi pour Bosta

lundi 1er janvier 2007, par Olivier Bruaux


Voir en ligne : Photos de Philippe Aractingi

Comment inscrire BOSTA dans le contexte d’aujourd’hui ?

Si j’avais pu vous présenter mon film dans des conditions normales, je vous aurais dit que BOSTA est un film sur lequel je travaille depuis 16 ans et que j’ai toujours voulu une autre image du Liban. Celle d’un Liban sorti des clichés de la guerre. Grouillant de vie. Un Liban, à notre image, qui se reconstruit. Depuis le succès du film dans mon pays, pour beaucoup de Libanais, BOSTA est devenu, avant tout un film qui incarne la génération du renouveau. BOSTA c’est notre envie de vivre. Mais le Liban est à nouveau en ruine et je reste sans voix. A peine avais-je fini mon film que celui-ci est devenu un document historique ; certains lieux filmés ont été bombardés et n’existent plus. A tous ceux qui pensent que la guerre au Liban est une fatalité, un cycle infernal, à jamais répété sur cette terre. Je dis non ! J’ai voulu le dire de façon légère au travers de mon film BOSTA. Le Liban, mon pays, est celui que vous retrouvez dans ce film avec ses couleurs, ses chants et ses rires. C’est sa véritable nature, tant qu’on lui laisse la possibilité de s’exprimer, de se reconstruire. Ce Liban, il m’a été donné de pouvoir le filmer avant qu’on ne l’assassine à nouveau.

Que raconte BOSTA ?

C’est l’histoire de quelques amis d’enfance qui se retrouvent pour rattraper le temps perdu, le temps d’une jeunesse que la guerre leur a fauché. C’est l’histoire de cette jeunesse qui a grandit trop vite, en oubliant de vivre, d’être légère... Lorsque Kamal apporte à ses copains d’école un rythme nouveau, il leur donne l’occasion de retrouver une adolescence perdue, ou du moins un temps d’innocence que la guerre a abîmé.

BOSTA est surtout un voyage dans la mémoire du Liban, dans la mémoire de ces danseurs.... C’est aussi un voyage dans la mémoire, tout court. L’histoire est presque un prétexte au voyage en lui-même....

La Figure du père est omniprésente dans le film. Pourquoi ?

En effet, ce film c’est aussi la recherche du père : Kamal cherche son père, Omar se réconcilie avec le sien, tous ces jeunes dansent avec leurs « pères » (les vieux qui dansent la Dabké traditionnelle à Baalbek) etc. Le père est omniprésent tout au long du film. Ce que j’entends par père, c’est en réalité la notion d’héritage, de mémoire. Cela nous renvoie à la question concernant le Liban : Que fait-on de notre héritage, de nos traditions ? Comment nous positionner ? Faut-il les rejeter ou les renouveler ? Actuellement, au Liban personne ne remet en question notre histoire, en essayant de lui donner un sens. Nous sommes trop préoccupés par notre histoire présente.

Pourquoi un film musical ?

Pour rester léger ! Après toute une vie passée à faire des documentaires, après des années d’exil en France, j’avais envie, de raconter une histoire légère, d’oublier la guerre que j’avais trop souvent filmée. En revenant au Liban, je découvre un pays différent : loin des clichés, grouillant de vie ! Le jour, les montagnes sont luxuriantes, les restaurants bondés et les mezzés abondants. La nuit, les bars sont combles et les femmes se déhanchent sensuellement sur les tables ... Epris de cette profusion étonnante de vitalité, j‘ai décidé de raconter les personnages que je rencontrais. Des personnages méditerranéens, hauts en couleur : la corpulente Arzé, la frivole Vola ... Tout un univers un peu “ kitsch oriental ”, parfois un peu absurde, mais toujours plein de vie ! Je me suis donc mis à écrire. Mais je ne suis pas parvenu tout de suite à trouver cette légèreté. Quatre ans durant j’ai combattu une mémoire qui habite la moitie de mon existence : celle de la guerre. Puis, un jour, j’ai compris que derrière l’énergie de cette jeunesse libanaise qui se déhanchait, derrière cette apparente profusion, se cache une forme de survie. Un leurre nécessaire pour contrecarrer le poids d’une souffrance cachée. La guerre les hante encore, elle est la moitié de leur vie ! Il fallait donc faire un film juste par rapport à ce que nous sommes. A la fois gais, et tristes.

Cette volonté de trouver un équilibre entre légèreté et lourdeur est constante dans le film qui s’articule autour de tons sombres et lumineux. Curieusement, ce sont les personnages qui sont restés au Liban durant la guerre et l’après-guerre qui réussissent à s’élever dans la légèreté, alors que celui qui a quitté le pays reste plombé par son passé... Les lieux que l’on a quittés restent figés dans la mémoire La danse et la chanson ont été pour moi le moyen de passer du sombre au coloré. Le film raconte la reconstruction. Non pas des édifices détruits, mais celle des âmes.

Que peut-on dire sur la musique ?

Je voulais renouveler la Dabké, musique traditionnelle libanaise, qui a bercé mon enfance. Mais je n’avais aucune idée de la manière dont il fallait procéder. J’ai fait beaucoup de recherches avant de décider du style de musique que je voulais dans le film. Comment reprendre les vieux thèmes ? Les traiter sans faire « cheap » comme tous ces remix à la mode ? Finalement, j’ai choisi de travailler avec Ali El Khatib, un musicien libanais. Nous avons décidé de reprendre des chansons du répertoire classique du folklore libanais. Ali El Khatib a fait tous les arrangements, il a fait appel aux vieux musiciens pour donner des textures et des arrangements typiques. Ce travail a été remis ensuite aux Anglais, Simon Emmerson et Martin Russell, qui travaillent depuis 20 ans déjà sur des thèmes du monde, les rendant plus accessibles pour les Occidentaux. Simon et Martin travaillent sur une musique qu’ils appellent « Organique » où se rencontrent des instruments du monde. Nous avons abouti à ce mélange particulier qu’est cette Dabké techno

Pourquoi avez-vous choisi la Dabké ?

Parce qu’elle est festive et se danse à plusieurs ! La Dabké est une forme très représentative de l’esprit bon vivant libanais qui aime la fête, la joie, et tous les plaisirs sensuels, du palais à ceux du corps. Mais aussi parce que cette joie que les Libanais expriment en dansant la Dabké est un des seuls ou rare dénominateur commun de ce peuple si différent et si unique.

Pourquoi l’autobus, la « BOSTA », est-il un élément aussi central du film ?

Le Liban est formé d’une multitude de sociétés et de cultures différentes qui font la caractéristique du pays. Il fallait trouver un véhicule qui puisse m’amener vers ces identités multiples pour parler de l’identité unique, celle du Liban.

La deuxième raison c’est que « BOSTA » est une belle métaphore pour parler de reconstruction. L’autobus, « BOSTA »en Arabe, est le symbole de notre blessure commune. En 1975, la guerre a commencé par un massacre à l’intérieure d’un bus. Ce mot est pour tous les Libanais, le symbole du déclenchement de la guerre.

Mes personnages reprennent leur vieux bus d’école pour le repeindre et partir avec, reconstruire leur passé. Métaphoriquement, en repeignant les murs calcinés, ils effacent leurs plaies...

Ma « BOSTA » n’est plus celle de la guerre, elle est celle d’une génération qui a choisi le renouveau.

Quels ont été les meilleurs moments du tournage ?

Ceux passés avec les acteurs, sans aucun doute ! Le tournage a été extrêmement difficile et éprouvant. Il a duré 50 jours, ce qui au Liban est une première si je ne m’abuse. Nous avions un budget très serré, et nous devions parcourir le pays et tourner des scènes de danses et de chants. Cela n’a vraiment pas été facile...mais les acteurs ont tenu le coup.

Ils ont réussi a créer autour d’eux une bulle de rire et d’amitié qui les protégeait des tensions du tournage. En tant que réalisateur, j’étais constamment en train d’entrer et de sortir de cette bulle et, à chaque fois que j’y entrais, c’était des moments merveilleux partagés avec les comédiens !

En réalité, cette atmosphère s’est crée grâce aux suggestions de Georges El Hachem qui a collaboré au casting ; il m’a conseillé de commencer le tournage avec les scènes de danse afin d’unir les acteurs autour de la troupe de danse. Cela a permis, dès les premiers jours, d’infuser l’énergie nécessaire au jeu d’acteur des autres séquences du tournage.

Source : DP

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