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Interview de Florence Moncorgé-Gabin pour Le passager de l’été

mercredi 21 juin 2006, par Olivier Bruaux


Une histoire venue de loin

J’avais cette histoire en moi depuis très longtemps. Je ressentais l’envie de raconter un amour impossible, dans un monde que j’ai bien connu pour y avoir grandi, celui de la campagne. C’était juste avant que les paysans ne deviennent des agriculteurs, avant que les tracteurs et la mécanisation ne bouleversent un monde artisanal. J’avais également envie d’aborder le désir des femmes de différentes générations, attirées par un même homme. Traiter de ces sentiments dans un petit village de campagne apportait un autre regard. Là-bas, surtout à cette époque, il y avait davantage de non-dits, de codes, d’usages, ce qui contrastait d’autant plus avec la passion.

L’étincelle m’est venue lors d’un mariage auquel j’étais invitée. Je logeais dans un gîte, à la ferme. Je me suis aperçue qu’il n’y avait que des femmes pour l’exploiter. L’absence d’homme faisait régner une atmosphère incroyable. Je me suis mise à écrire dès mon retour. J’ai puisé à la fois dans ma culture familiale et dans mon expérience affective. Quand j’ai commencé à écrire, des choses vécues pendant mon enfance me sont revenues, teintées de ce que mon père, Jean Gabin, véhiculait. Pour tous, c’était un acteur, mais pour nous il était aussi un paysan. Le personnage de Joseph est inspiré à la fois de ce qu’il aurait pu être jeune, et de l’image qu’il pouvait donner dans ses premiers films. Même si je n’y ai pas pensé consciemment au moment de l’écriture, tout s’est mélangé dans ma tête. Dans sa ferme, à l’Aigle en Normandie, je me souviens qu’il y avait une hiérarchie très marquée. Le chef de culture menait l’exploitation - il m’a d’ailleurs un peu servi de modèle pour le personnage de François Berléand. Venaient ensuite les ouvriers agricoles sous ses ordres... Les gens de la campagne ne réagissent pas comme ceux des villes. Les citadins sont gâtés, ils ont tout à portée de main. Leurs contacts sont plus étroits, plus doux. À la campagne, tout le monde est confronté à la terre, au temps qu’il fait, à des forces qui nous dépassent et obligent chacun à se battre beaucoup plus. La première notion de hiérarchie est là et elle sous-tend tous les rapports. Le seul rythme qui prévaut est celui de la nature.

J’ai écrit cette histoire comme un roman. J’ai fait plusieurs moutures que j’ai laissées de côté quand on m’a demandé d’écrire un livre de souvenirs en 2001. En 2003, j’ai tout repris, mais j’avais trop longtemps travaillé seule et je manquais de recul. J’ai fait appel à mon complice, Pierre Granier-Deferre, le réalisateur de LA VEUVE COUDERC et de LA HORSE. Paradoxalement, bien qu’il n’apprécie pas spécialement la campagne, il est un de ceux qui l’ont le mieux filmée. Il m’a poussée à plus de concision, nous avons resserré sur certains personnages. Nous avons gardé la quasi-totalité de mes dialogues. C’est à cette époque que j’ai rencontré Alain Terzian. Ce scénario ne correspondait pas à ce qu’il produit d’habitude, mais il a tout de même eu envie de s’embarquer dans l’aventure avec Christine Gozlan.

La passion comme seul maître du jeu

C’est une histoire que j’ai écrite avec mes tripes. Avant même de commencer, j’avais dans la tête quelques scènes de séduction non dite. Je trouvais extrêmement sensuel de révéler cette attirance physique croissante seulement par des gestes et des regards. On se rend compte très vite que le personnage de Catherine Frot, avec sa façon de l’épier, de le regarder sans le toucher, est fasciné par Joseph. J’avais envie que lui comprenne petit à petit tout en se demandant ce qu’il devait faire. La faire attendre, languir, pour voir jusqu’où elle était capable d’aller... C’est un jeu de séduction où le désir de chacun des deux compte. Lui joue l’indifférence, jusqu’à cette scène où le film bascule une première fois. C’est lui qui semble contrôler le jeu, mais il sera lui-même pris au piège d’autres sentiments.

Dans ce film, personne ne dit « je t’aime » car pour moi, ce sont des mots vides de sens. Je suis convaincue que seule l’attirance physique prévaut. Un homme ou une femme sont des objets de désir. Si ce sentiment est réciproque, alors la rencontre peut se faire, sans que cela porte à conséquence. Le fait de tomber amoureux est un piège. Dès la première apparition de cet homme qui arrive de nulle part, j’ai tout fait pour que les personnages féminins en tombent amoureuses. Il a les défauts des hommes mais aussi un charme fou. Il est la flamme autour de laquelle se brûlent les papillons. Il devait être inaccessible. Monique en tombera progressivement amoureuse, et le garder deviendra sa seule préoccupation.

Incarner les personnages

personnagesMonique est une femme de caractère. On devine qu’elle a été abandonnée par son mari et qu’elle est meurtrie. Elle assume seule la ferme, sa fille et sa belle-mère. Elle est détruite sur le plan sentimental et se raccroche à son sens du devoir pour continuer à vivre. C’est Alain Terzian qui eu l’idée de proposer le rôle à Catherine Frot. Au départ, elle ne se sentait pas capable de rendre toute la sensualité du personnage, mais elle s’est appropriée le rôle d’une façon extraordinaire. Elle a fait exister Monique au-delà de ce que j’avais imaginé. Elle en avait l’intégrité, un sens des réalités, la gestuelle. Catherine était dans cette ferme comme si elle y avait passé toute sa vie. Elle confère à Monique une rudesse, une sévérité apparentes qui la rendent d’autant plus bouleversante lorsqu’elle se laisse déborder par ses sentiments. Catherine m’a beaucoup fait penser à Simone Signoret dans ses plus grands rôles.

Joseph arrive de nulle part, sans passé. Son savoir-faire à la ferme le rend vite indispensable, mais son charisme lui donne d’autres pouvoirs. Comme les autres personnages du film, il révèle ses failles peu à peu. On découvre qu’il ne sait ni lire ni écrire, c’est un aspect qui m’est venu en cours d’écriture. Début 2003, j’ai vu une photo de Grégori Derangère dans BON VOYAGE de Jean-Paul Rappeneau. J’ai eu un véritable coup de foudre et j’ai demandé à le rencontrer. Il a accepté le rôle et je l’ai retravaillé en fonction de lui. Il a tout de suite saisi le côté paysan. Il n’est absolument pas dans la configuration des acteurs parisiens, mondains, et travaille dans un registre complètement déserté en France, celui du mec viril. Même si Grégori ne comprenait pas toujours ma façon de voir les hommes, il a su servir ce que je ressentais. Il a une remarquable présence et il est toujours juste.

Jeanne est la fille de Monique. Elle est institutrice et symbolise l’un des changements qui affectent le monde rural à cette époque : l’exode vers les villes. Au-delà de cela, c’est une jeune fille indépendante, sensée, dont la relation avec Joseph la marquera à vie. Je ne connaissais pas du tout Laura Smet. Ses films révèlent une fraîcheur, une pureté intacte. C’est une actrice lumineuse. Elle est dans ses rôles comme dans la vie. Elle pouvait avoir la candeur ou la dureté avec la même intensité.J’ai connu des personnages qui ressemblent au Maire. Ils étaient comme des petits seigneurs sur leurs terres, sautant sur tout ce qui bouge. C’est Christine Gozlan qui m’a proposé François Berléand. Il a énormément apporté à son personnage. Il l’a humanisé, il l’a emmené au-delà de la caricature.

Source : Dossier de Presse

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