I love cinema

Accueil du site > Festivals et hommages > Cérémonies, Prix & Palmarès > Cesar 2007 : discours de Pascale Ferran

Cesar 2007 : discours de Pascale Ferran

lundi 26 février 2007, par Olivier Bruaux


Voir en ligne : Photos de Pascale Ferran

En pleine période électorale, il fallait marquer les esprits pour une prise de conscience collective en prenant les télé-spectateurs à témoin lors de la cérémonie des Cesar 2007. Récompensée pour son film ultra indépendant, Lady Chatterley, Pascale Ferran a su sortir du rang pour défendre ses camarades intermittents en prononçant un discours sensible, courtois mais terriblement amer sur la situation du cinéma français qui semble virer au libéralisme injuste.

« Nous sommes nombreux dans cette salle à être comédiens, techniciens ou réalisateurs de cinéma. C’est l’alliance de nos forces, de nos talents et de nos singularités qui fabrique chaque film que produit le cinéma français. Par ailleurs, nous avons un statut commun : nous sommes intermittents du spectacle. Certains d’entre nous sont indemnisés, d’autres non ; soit parce qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment d’heures, soit, à l’inverse, parce que leurs salaires sont trop élevés pour être indemnisés dans les périodes non travaillées. C’est un statut unique au monde.
Pendant longtemps, il était remarquable parce qu’il réussissait, tout en prenant en compte la spécificité de nos métiers, à atténuer un peu -un tout petit peu- la très grande disparité de revenus dans les milieux artistiques. C’était alors un système mutualisé. Il produisait une forme très concrète de solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de fabrication d’un film, et aussi entre les générations.

Depuis des années, le M.e.d.e.f. s’acharne à mettre à mal ce statut, en s’attaquant par tous les moyens possibles à la philosophie qui a présidé à sa fondation. Aujourd’hui, il y est presque arrivé. De réformes en nouveau protocole, il est arrivé à transformer un système mutualisé en système capitalisé. Et cela change tout. Cela veut dire, par exemple, que le montant des indemnités n’est plus calculé sur la base de la fonction de son bénéficiaire mais exclusivement sur le montant de son salaire. Et plus ce salaire est haut, plus haut sera le montant de ses indemnités.

Et on en arrive à une absurdité complète du système où, sous couvert de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches. Or, au même moment exactement, à un autre bout de la chaîne de fabrication des films, d’autres causes produisent les mêmes effets. Je veux parler du système de financement des films qui aboutit d’un côté à des films de plus en plus riches et de l’autre à des films extrêmement pauvres. Cette fracture est récente dans l’histoire du cinéma français.

Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ce qu’on appelait les films du milieu -justement parce qu’ils n’étaient ni très riches ni très pauvres- était même une sorte de marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait de meilleur. Leurs auteurs, de Renoir à François Truffaut, de Jacques Becker à Alain Resnais, avaient la plus haute opinion des spectateurs à qui ils s’adressaient et la plus grande ambition pour l’art cinématographique. Ils avaient aussi, bon an mal an, les moyens financiers de leurs ambitions.

Or, ce sont ces films-là que le système de financement actuel, et en premier lieu les chaînes de télévision, s’emploient très méthodiquement à faire disparaître. En assimilant les films à vocation artistique aux films pauvres et les films de divertissement aux films riches, en cloisonnant les deux catégories, en rendant quasi impossible pour un cinéaste d’aujourd’hui le passage d’une catégorie à une autre, le système actuel trahit l’héritage des plus grands cinéastes français. Et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création cinématographique, point de vue personnel et adresse au plus grand nombre. Ce faisant, il défait maille après maille le goût des spectateurs : alors même que le public français était considéré comme le plus curieux, le plus exigeant, le plus cinéphile du monde. Ici comme ailleurs, la violence économique commence par tirer vers le bas le goût du public puis cherche à nous opposer. Elle n’est pas loin d’y arriver.

Les deux systèmes de solidarité -entre les films eux-mêmes et entre ceux qui les font- ces deux systèmes qui faisaient tenir ensemble le cinéma français sont au bord de la rupture. Alors peut-être est-il temps de nous réveiller. Peut-être est-il temps de nous dire que notre amour individuel pour le cinéma, aussi puissant soit-il, n’y suffira pas. Peut-être est-il temps de se battre très méthodiquement nous aussi, pour refonder des systèmes de solidarité mis à mal et restaurer les conditions de production et de distribution de films qui, tout en donnant à voir la complexité du monde, allient ambition artistique et plaisir du spectacle.

Nous n’y arriverons pas, bien sûr, sans une forme de volonté politique, d’où qu’elle vienne. Or, sur de tels sujets, force est de constater que celle-ci est désespérément muette. Mais rassurons-nous. Il reste cinquante cinq jours aux candidats à l’élection présidentielle pour oser prononcer le mot « culture ». »

Pascale Ferran, cérémonie des Cesar 2007

- consultez le palmarès des César 2007

Répondre à cet article



photos critiquephotos critiquephotos critiquephotos critiquephotos critiquephotos critiquephotos critiquephotos critiquephotos critiquephotos critiquesphotos critiquephotos critique
Cliquez sur les affiches pour les photos & critiques